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Croc'Philo #8 - Le goût de l'autre - Lundi 25/01/21
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L'altérité ou le goût de l'autre…

Photo d'illustration: Noire et Blanche, portrait photographique de Man Ray, 1926

Bonjour Annely, bonjour à toutes et à tous.

Aujourd’hui dans Croc’Philo, en ces temps d’entre confinements, où le feux de nos relations sociales est sous couvert de restrictions en tout genre, d’évitements, de distanciation, de gestes barrières … Où est l’autre dans notre quotidien? Comment le rencontrons-nous? L’absence ou presqu’absence de contact physique semble devenir la norme de nos rencontres ou retrouvailles entre amis.es ou en famille, et ces rencontres sont elles-mêmes limitées… L’autre nous manque souvent, quel qu’il soit, mais qu’est ce qui nous manque quand la présence de l’autre est ainsi réduite? L’autre d’ailleurs serait-il indissociable de nous?

Dans le goût des autres, le film co-scénarisé par A. Jaoui et JP Bacri et réalisé par A. Jaoui, sorti en 2000, que certains ont peut-être vu ou revu cette semaine (puisqu’il a été diffusé sur France2 mardi suite au décès de JP Bacri – et il doit être d’ailleurs en replay sur le site de France TV), dans ce film donc, on assiste à une illustration de la définition du bon goût par Pierre Bourdieu: le bon goût, c’est le dégoût du goût des autres; c’est ainsi que le sociologue P. Bourdieu le défini, avec la théorisation d’une forme de déterminisme social. Pour lui nos classes sociales, nos milieux sociaux, nos désirs, nos amours, nos amitiés, nos goûts et nos couleurs, quelqu’ils soient, sont empreints de préjugés/ de contraintes sociales qui nous distinguent à notre insu, par reproduction. Ainsi, nous ne sommes pas libres mais déterminés à reproduire ce que l’on nous transmet socialement.

Dans ce film, Le goût des autres, on comprend que si nous ne composons pas avec les autres autour de leurs singularités, nos relations échouent, au sens que nous échappons les uns aux autres, que nous ne les comprenons pas. Puisque nos goûts au sens de nos habitus (càd nos manières d’être, nos dispositions d’esprit), diffèrent, ce que nous sommes les uns pour les autres ne fait pas sens, et nous rejetons les autres hors de notre sphère sociale.

Dans le film par exemple, un chef d’entreprise à la culture plutôt technico-commerciale serait mal à l’aise au milieu de discussions intellectuelles d’artistes qui entretiendraient un entre-soi ou ne concèderai à d’autres échanges que dans un seul intérêt matériel ou financier; un polytechnicien ne saurait parler que “comme un ministre”, entendu par là que ses paroles seraient nécessairement condescendantes; nous ne pourrions être amis, ou du moins nous comprendre, que si nous sommes de la même catégorie socio-professionnelle, comme le chauffeur et le garde du corps du film, joués respectivement par A. Chabat et G. Lanvin, ici d’ailleurs ancien policier, qui ne peut accepter l’idée que sa maitresse revende de la drogue… Ou encore ce que nous trouvons à notre goût en matière de décoration, d’habillement, de physique et que nous nous croyons même scellé du côté du bon goût, est détesté par d’autres, qui, littéralement, ne se reconnaissent pas dans le goût des autres.

Le goût des autres, en somme, ce serait ce qui nous échappent dans ce que nous vivons socialement, ce serait ce que que nous jugeons chez les autres selon nos propres lumières et qui est toujours assombri par ce que nous ne reconnaissons pas comme faisant référence pour nous. Le temps serait-il peut-être venu de nous réjouir alors de l’absence de l’autre, de nos distances qui nous font moins composer avec l’autre?

ANNELY: Mais le goût des autres ça ne pourrait pas être aussi ce besoin que nous avons des autres, d’être avec eux, d’interagir avec eux, même dans la confrontation?

C’est là sans doute toute la contradiction de l’altérité…

L’autre nous condamne à ne pas être libre car il est partout, et il est différent de moi, mais il est aussi comme moi, et sans lui, je peine à me reconnaitre comme un être doué de goûts, d’idées ou même de sentiments qui m’appartiennent.

Avec nos distanciations sociales actuelles, nos espaces sociaux virtualisés, nos temps moins partagés, on est sans doute moins confrontés aux goûts douteux, forcément douteux pour nous, des uns et des autres, et on pourrait trouver cela… reposant. Mais c’est sans compter le fait que nous vivons une forme d’isolement des autres qui contient aussi nos relations au sein de nos propres sphères sociales, avec nos propres amis, nos propres voisins, et/ou nos propres familles.

Et c’est là l’essence même de notre rapport à l’autre qui est alors interrogé, de façon plus radicale, plus seulement à travers nos divergeances et nos ressemblances, mais c’est la notion universelle d’altérité qui contient à la fois l’idée de conscience de l’autre et de soi, qui est interpellée.

Du goût des autres donc, nous retenons ici le caractère, la notion d’altérité. L’autre est un alter ego. C’est l’autre que moi, c’est l’autre qui est comme moi mais qui pourtant, n’est pas moi.

Il semble qu’oser la rencontre avec l’autre suppose aussi de me risquer aux frontières de

moi même… D’acccepter de ne pas tout à fait me reconnaitre dans l’autre, pour mieux le

rencontrer. Rencontrer l’autre…. Ce serait laisser justement la réalité m’échapper, un peu.

Mais pourquoi est ce si difficile de faire se rencontrer nos similitudes et nos différences sans jugement de valeur? D’échapper à l’ethnocentrisme qui vient toujours flatter nos propres valeurs et opinions tout en niant la pertinence de celles des autres?

Comme en voyage, l’autre serait celui, teinté d’exotisme, qui à la fois m’échappe et me

fascine… Parce que sa réalité est ailleurs que la mienne, l’autre m’invite à ouvrir mon regard sur le monde, monde qui devient alors le mien et celui de l’autre à la fois.

Cette vision universaliste, on la doit notamment dans l’histoire des idées et du

questionnement sur l’altérité, à l’humaniste Montaigne, au XVIème siècle. L’écrivain et

philosophe, dans ses Essais, parus en 1580, invite à porter un regard nouveau sur l’autre

grâce aux découvertes des explorateurs. Notre essayiste a lu des récits, des témoignages de

personnes ayant été en expédition en Amérique, notamment André Thevet, dans Les Singularités de la France Antartique, ouvrage paru en 1557 et Jean de Léry, Voyage fait en la terre du Brésil, paru en 1578. Montaigne a en outre rencontré quelques Indiens à Rouen et engagé comme secrétaire un homme ayant séjourné en Amérique.

Dès la première édition des Essais, Montaigne consacre deux chapitres, (« Des cannibales »,

« Des coches ») à la découverte du Nouveau Monde. Dans un passage particulièrement

célèbre du troisième livre des Essais, il critique le colonialisme pour mieux dresser des

éloges des Indiens d’Amérique.

Plus générallement dans son ouvrage, il vise à questionner nos préjugés sur les autres

cultures et nous invite à regarder nos propres coutumes d’un oeil critique.

Bien loin encore de la phrase célèbre de l’ethnologue Levi-Strauss dans Race et histoire en

1952: “Le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie”; Montaigne nous invite déjà à

ne pas ignorer les contradictions et les usages, notamment politiques, de notre propre

culture, en affirmant qu’ils peuvent être jugés et discutés.

Il porte une réflexion profonde, philosophique : sur le pouvoir et l’asservissement, des

doutes sur la civilisation, un questionnement sur la nature.

Il défend le relativisme. Pour lui, notre aveuglement, c’est notre vue étroite et notre

autosatisfaction qui nous empêchent d’aller à la découverte de l’autre et d’apprendre de lui.

Bien entendu, rétrospectivement, on peut reconnaître que le propos de Montaigne

n’est lui-même pas dénué d’ethnocentrisme, dans la mesure où il ne voit les

hommes du Nouveau Monde qu’à travers le prisme de la civilisation occidentale, même s’il

en fait son inverse.

Et depuis la Rennaissance alors, comment la philosophie nous invite–elle à penser l’autre et

notre relation à lui?

On peut citer Emmanuel Levinas, qui fait du visage de l’autre le fondement de tout

commandement moral contre la violence. Parce-que pour lui les yeux de l’autre qui se

plantent dans les miens, c’est un accès direct à toute la fragilité de l’humanité qui

intimement, m’ordonne de ne pas nuire à l’autre.

Chez Sartre en revanche, “l’enfer, c’est les autres” (dira personnage de Garcin à la fin de Huis-clos), car l’autre est partout dès que ma conscience se saisi de son existence; je ne peux lui échapper et pour Sartre, l’existence de l’autre, même si je ne le vois pas, conditionne toutes mes actions. (Huis–clos… 1943/44 – Garcin, Inès, et Estelle - Ils ne se connaissent pas, viennent de milieux très différents, ne partagent ni les mêmes convictions ni les mêmes goûts. Trois personnages se retrouvent à leur mort dans une même pièce.)

Mais si plus je cherche à le définir, plus l’autre semble se dérober pour mieux me renvoyer à

moi-même, c’est peut-être qu’au fond, l’autre, plus qu’un étranger, habite déjà en chacun de

nous. À quoi bon ignorer nos propres incertitudes ? Et si la seule certitude dont je

disposais, c’était que l’autre est l’inconnu en moi, que l’autre est la promesse de toute

création, de toute poésie possible car il est et demeure ce que j’ignore…

Dans nos vies aujourd’hui, quand nos contraintes se renforcent et se généralisent, on pourrait croire que nous nous ressemblons davantage, que dans les heures que nous vivons collectivement actuellement flotterai un quelque chose de : “il en est de même pour nous tous”, dans la façon de vivre et de nous ressentir. Comme si l’autre était celui qui est exclusivement “comme nous”, comme si nos sentiments étaient mieux partagés que jamais et que nous pourrions nous comprendre mieux aujourd’hui qu’hier. Qu’en modifiant actuellement, par la force des choses, un peu nos habitus, nous serions capables de saisir par une forme de conscience commune, les évènements que nous traversons… Hors, force est de constater que socialement, ce n’est pas vrai, nos conditions de vie ne se valent pas, nous n’avons pas tous autant à perdre, car si nous perdons tous une part de ce qui nous est essentiel, nous n’entendons pas cet essentiel de la même façon. Et pour certains, la perte de l’essentiel a un goût de survie qu’il serait inconvenant de juger, quoiqu’il représente pour nous.

Pourtant, nous jugeons souvent, nous nous désacordons encore un peu plus tandis que se creusent et se délimitent nos environnements sociaux. Nous nous voyons de moins en moins, au sens propre du terme, puis nos éloignements nous invisibilisent encore davantage, comme si nous perdions conscience de cette dualité de l’altérité qui nous constitue. Et nous oublions sans doute ainsi que sans l’autre, nous perdons nos repères, que c’est bien la perspective d’être soi que nous perdons par une forme de frottement au réel qui manque à nos envies, à nos projets…

Et si cultiver le goût des autres, au sens cette fois de l’inclination vers les autres, c’était continuer à inventer des façons d’être en relation avec les autres, si c’était juste du lien possible, parfois et surtout hors de notre zone de confort, de notre sphère sociale d’ailleurs si bousculée en ce moment? Pas facile quand ça se passe exclusivement sur les réseaux sociaux, mais si ces rencontres nous faisaient sortir de l’illusion de la nécessaire cordiale entente au sein de nos sphères sociales familières pour simplement nous montrer que nous pouvons encore nous projeter un peu hors de nous et continer à découvrir les goûts qui sont dans la nature, pour rendre la vie sociale un peu moins grise, un peu plus curieuse, moins immobile peut-être, en étant plus à l’écoute?

 

Nous parlerons de la vie qui bat le 8 février, parce que nous parlerons d’amour, d’amitié, de ce qui dintingue peut-être ces sentiments et de ce qui les rassemble…

Emilie


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